L'exécution des sentences arbitrales au Vietnam
Le choix de l'arbitrage comme mode de résolution d'un litige comporte de nombreux avantages pour les particuliers notamment grâce à ses particularités procédurales uniques et à son gain de temps. Dans cet article, nous allons étudier l'exécution des sentences arbitrales au Vietnam, partie importante du processus arbitrage pouvant avoir un impact considérable sur l'efficacité et la rapidité de l'arbitrage.
Considérations préliminaires ;
Pour situer le sujet, rappelons tout d'abord qu'il existe 2 grandes catégories d'arbitrage : l'arbitrage ad-hoc et l'arbitrage institutionnel.
L'arbitrage ad-hoc, organisé par les parties elles-même sans le concours d'une quelconque institution ne sera pas abordé dans cet exposé. Il ne sera question que de l'arbitrage institutionnel et de l'exécution de ses sentences arbitrales.
Tout au long de la discussion, sera fait la distinction et la comparaison de l'exécution des sentences arbitrales domestiques dites vietnamiennes, celles rendues par une institution arbitrale vietnamienne, et des sentences arbitrales dites étrangères, rendues sur le sol vietnamien.
Par sentences arbitrales étrangères, il faut entendre les sentences arbitrales rendues par une institution arbitrale en dehors du Vietnam mais aussi les sentences arbitrales rendues au Vietnam par une institution étrangère ou un arbitre étranger1.
Concernant les sentences arbitrales vietnamiennes, le Vietnam compte plusieurs centres d'arbitrages vietnamiens. Pour ne citer qu'eux :
- Vietnam International Arbitration Center («VIAC») basé à Hanoï ;
- Hanoi Commercial Arbitration Centre (« HCAC ») basé à Hanoï ;
- ASEAN International Commercial Arbitration Centre (« ACIAC ») basé à Hanoï ;
- Pacific International Arbitration Centre (« PIAC ») basé à Ho Chi Minh Ville ;
Le VIAC est l'institution arbitrale la plus connue au Vietnam. C'est une organisation non-gouvernementale réglementée par la LCA et qui possède ses propres règles. Elle a reçu pas moins de 630 affaires depuis sa création en 1993 dont 64 en 2012, impliquant à 71% des parties étrangères.
Le VIAC compte 132 arbitres vietnamiens pour seulement 17 arbitres étrangers. Toutefois, les arbitres étrangers dans le VIAC sont une nouveauté au Vietnam et une preuve de son ouverture en matière d'arbitrage international qu'il ne faut pas négliger. En effet, contrairement à l'ancienne ordonnance, la loi de 2010 sur l'arbitrage (LCA2) autorise les arbitres étrangers à pratiquer au Vietnam sous réserve d'être membre d'un centre d'arbitrage.
Se pose alors plusieurs questions : Comment s'exécute une sentence arbitrale au Vietnam ? Quelles sont les différences quant à la mise en application des sentences arbitrales vietnamiennes et des sentences arbitrales étrangères ?
Les conditions d'exécution des sentences arbitrales nous amène à traiter de la question de la nullité des sentences arbitrales et la non reconnaissance des sentences arbitrales étrangères au Vietnam.
Au Vietnam, la mise en application d'une sentence arbitrale rendue par une institution vietnamienne est exécutoire d'office par les parties sans la validation d'une juridiction étatique. Il en va différemment pour les sentence rendues par une institution étrangère qui doivent bénéficier de l'exequatur d'une juridiction provinciale vietnamienne (I). A contrario de l'exécution d'une sentence arbitrale, celle-ci peut cependant être déclarée nulle dans certains cas par une institution judiciaire vietnamienne et être ainsi privée de toute mise en application (II).
I- L'exécution de la sentence arbitrale au Vietnam
Si pour une sentence arbitrale rendue par une institution vietnamienne l'exécution se fait en principe par les parties elles-même sans recours obligatoire à l'exequatur d'un tribunal vietnamien, tout comme en France par exemple, où la sentence arbitrale a d'office l'autorité de la chose jugée. Il en est différemment pour une sentence arbitrale étrangère.
L'exécution relativement simple de la sentence arbitrale rendue par une institution vietnamienne ;
Le principe en cas de sentence arbitrale rendue par une institution vietnamienne est celui selon lequel les parties l'honorent volontairement (article 65 de la LCA). Toutefois, lorsqu'une partie ne la respecte pas, il est possible pour l'autre partie de soumettre une requête auprès de la «Court's enforcement agency » pour que celle ci la fasse exécuter.
On remarque qu'aucun enregistrement devant une Cour provinciale n'est obligatoire pour les sentences rendues par une institution vietnamienne. En revanche, en matière d'arbitrage ad-hoc, l'enregistrement est obligatoire.
L'exécution complexe de la sentence arbitrale étrangère ;
Une sentence arbitrale étrangère doit être formellement reconnue par le tribunal de province local.
Pour les sentences arbitrales rendues par une institution étrangère, le Vietnam ne reconnaît que les sentences arbitrales issues d'un état partie à la Convention de New York de 1958 ou qui appliquent un traitement réciproque pour les sentences issues du Vietnam (article 343 du Code de Procédure Civile).
La procédure d'exécution des sentences arbitrales étrangères peut être longue. Le créancier de la sentence doit tout d'abord envoyer une requête au Ministre vietnamien de la Justice. Cette requête doit être accompagnée de certains documents comme une copie de la sentence. Sept jours après avoir reçu la requête, le Ministre de la Justice doit la transférer à la juridiction compétente (définie dans les articles 364 et 365 du Code de Procédure Civil). Le tribunal aura alors 2 mois à compter de la date de réception du dossier pour décider de refuser la requête ou de la poursuivre. Dans le premier cas la sentence arbitrale n'aura pas de caractère exécutoire, dans le deuxième cas le dossier sera transféré au procureur pour préparer l'audience.
Le procureur doit donner son avis quant au caractère exécutoire de la sentence arbitrale étrangère et a ainsi une grande influence sur la décision du tribunal, décision qui sera susceptible d'appel. Cette forte implication du procureur est une caractéristique importante propre entre autre au droit vietnamien. La simple non-participation à l'audience du procureur par exemple, obligera le tribunal à reporter l'audience (article 355 du Code de Procédure Civile).
Le principe de l'obligation de reconnaissance de la sentence arbitrale étrangère par une juridiction étatique vietnamienne reste à nuancer. Même lorsque la sentence provient d'une institution d'un état membre de la Convention de New York, la faire exécuter peut couter cher et s'avérer être très long. C'est pourquoi en pratique très peu de requêtes sont envoyées au Ministre de la Justice et les demandes d'exécution des sentences arbitrales étrangères sont rares.
La sentence arbitrale vietnamienne semble clairement favorisée par rapport à la sentence arbitrale étrangère. L'exécution de cette dernière est de toute évidence bien plus compliquée et plus cher que la sentence arbitrale domestique, argument qui peut être décisif pour un mode alternatif de règlement des conflits qui se veut être rapide.
II- L'inexécution de la sentence arbitrale par sa nullité ou sa non-reconnaissance
Un autre problème concerne la nullité de la sentence arbitrale qui peut dans touts les cas être demandée par la partie perdante de l'arbitrage. De même, les sentences arbitrales étrangères peuvent ne pas être reconnues par les tribunaux dans certains cas.
La nullité des sentences arbitrales ;
Selon l'article 68 de la LCA, le tribunal peut annuler une sentence arbitrale sans faire de distinction entre la sentence vietnamienne et étrangère, mais uniquement si cela lui est demandé. Il faut en effet qu'une requête soit faite par l'une des parties qui devra apporter la preuve de l'irrégularité de la sentence arbitrale.
Les causes de nullité sont les suivante :
- Il n'y a pas de convention d'arbitrage ou la convention d'arbitrage est invalide,
- La composition du tribunal arbitral ou la procédure, ne respectait pas la convention arbitrale ou la LCA,
- Le litige n'est pas de la compétence du tribunal arbitral,
- Les preuves apportées par les parties ont été falsifiées,
- L'arbitre a accepté de l'argent, des biens ou tout autre bénéfice d'une partie à l'arbitrage et cela affecte l'impartialité et l'objectivité de la sentence arbitrale,
- La sentence arbitrale est contraire aux principes fondamentaux du droit Vietnamien.
Grâce à la LCA il est maintenant plus facile de demander la nullité d'une sentence arbitrale. En effet l'ancienne ordonnance sur l'arbitrage disposait que les parties n'avaient que de 30 jours depuis la réception de la sentence pour exercer une action en nullité, délai qui est maintenant abrogé.
En pratique l'article 68 de la LCA est généralement critiqué comme étant trop vague et offrant un trop grand champ d'application à l'action en déclaration de nullité de la sentence arbitrale. En effet, la dernière cause de nullité, « si la sentence arbitrale est contraire aux principes fondamentaux du droit Vietnamien » pourrait être interprétée comme englobant toutes les dispositions légales vietnamiennes. L'arbitrage deviendrait alors sans utilité puisque le choix dévolu aux parties de choisir le droit applicable au litige, paraîtrait alors très relatif. De plus cette disposition semble peu rassurante quant aux principes de sécurité juridique et de prévisibilité du droit.
Il serait aussi possible pour les tribunaux d'utiliser ces principes en fonctions des intérêts qu'aurait l'État dans l'arbitrage litigieux, remettant en cause l'impartialité de la décision. Des solutions juridiques totalement différentes les unes des autres pourraient découler de l'application de cet article.
Enfin, l'alinéa 10 de l'article 71 de la LCA ajoute que « le jugement du tribunal est final et exécutoire d'office ». À la lecture de cet article, un vide juridique apparaît quant à la possibilité ou pas d'exercer un recours en cassation comme le prévoit normalement le Code de Procédure Civile, mettant à mal la prévisibilité juridique en la matière.
Toutefois, la LCA ne permet pas pour autant de mettre un terme à toutes les critiques adressées au régime de l’exécution des sentences arbitrales vietnamiennes.
La non-reconnaissance des sentences arbitrales étrangères ;
En matière de sentences arbitrales étrangères, le Code de Procédure Civile prévoit un grand nombre de cas où les sentences arbitrales ne seront pas reconnue (articles 369 et 370 du Code de Procédure Civile).
Le tribunal pourra notamment décider de ne pas reconnaître comme valide, une sentence dans les cas suivants :
- Le litige ne pouvait pas être réglé par l'arbitrage selon les loi vietnamiennes.
- La reconnaissance et l'exécution de la sentence arbitrale va à l'encontre des principes de droit vietnamiens.
- Les parties n'avaient pas la capacité légale de conclure une convention d'arbitrage.
- La convention d'arbitrage est invalide selon les lois du pays que les parties ont choisi ou du pays où la sentence a été faite.
- Le débiteur de la sentence n'a pas été prévenu dans les temps selon la procédure d'arbitrage du pays étranger et n'a pas pu exercer ses droits.
- La décision prise par l'arbitrage international n'était pas requise par les parties ou excède ce qu'il était convenu.
- La composition du tribunal arbitral, la procédure ne respectaient pas la convention d'arbitrage ou les lois du pays où il a eu lieu.
Même si le Code de Procédure Civile prévoit que le tribunal ne regardera que les points procéduraux de la sentence arbitrale étrangère, certains tribunaux vont jusqu'à examiner le fond de la sentence en invoquant des « lois du pays» comme l'autorise l'article 370, pour décider si la sentence arbitrale doit être exécutée ou pas.
De plus, les tribunaux vietnamiens ont interprété très strictement certains articles du Code de Procédure Civile, notamment l'article 364, pour aller jusqu'à in-exécuter des sentences pour une simple erreur dans le nom du représentant légal du demandeur de la sentence arbitrale.
La complexité du processus d'exécution et les multiples cas où les sentences arbitrales étrangères n'ont pas été reconnues crée un climat de méfiance à l'encontre du système d'exécution des sentences arbitrales au Vietnam. Les vides juridiques persistants encore et les dispositions législatives trop vagues empêchent une prévisibilité juridique qui paraît essentielle pour rendre l'arbitrage au Vietnam efficace et compétitif.
La crédibilité de l'arbitrage vietnamien mériterait une meilleure prévisibilité du droit en la matière mais aussi une plus grande harmonisation de l'exécution des sentences arbitrales vietnamiennes et étrangères pour permettre une plus grande attractivité aussi bien de l'arbitrage à l'étranger (par une reconnaissance plus facile des sentences arbitrales étrangères) mais aussi de l'arbitrage au Vietnam (par une internationalisation plus grande des arbitres au Vietnam).
1Concernant les institutions étrangères il faut distinguer les institutions étrangères au Vietnam et les institutions étrangères en dehors du Vietnam. Si la première situation est autorisée par la LCA avec une procédure précisément décrite (Décret 63), il n'y a à ce jour aucun centre d'arbitrage étranger sur le sol vietnamien.
2Loi n° 54/2010/QH12 , Law on Commercial Arbitration, datant du 17 juin 2010